Les Forts de L'Esseillon : Le Fort Victor-Emmanuel
« Tout le long du chemin de ronde du bâtiment central, à la crête des murs et des redoutes, on apercevait des dizaines de factionnaires, le fusil à l'épaule, qui marchaient méthodiquement de long en large, chacun ne parcourant que quelques pas. Tel le mouvement d'un pendule, ils scandaient le cours du temps, sans rompre l'enchantement de cette solitude qui semblait infinie. » (Le désert des Tartares - Dino Buzzati)
Victor-Emmanuel Ier : 1759-1824. S'opposa violemment aux forces de la Révolution Française. En 1798, il dut quitter le Piémont et fuir en Sardaigne. Napoléon vaincu, il retrouva ses états, auxquels les grandes puissances ajoutèrent le territoire de la république de Gênes.
L'absolutisme royal et les privilèges les plus surannés de la noblesse et du clergé furent rétablis, et la politique autrichienne domina quelques années le Piémont sous l'influence de son épouse Marie Thérèse petite fille de l'impératrice d'Autriche Marie Thérèse. Quand le parti national, prit les armes pour revendiquer les droits constitutionnels et l'indépendance du pays, Victor-Emmanuel, affolé et ne voulant faire aucune concession, abdiqua en faveur de son frère cadet Charles-Félix (1821).
Ce fort est le plus important des 5 forts.
Victor-Emmanuel, également appelé « Grand Fort » ou « Fort du Point du Jour », occupe l'extrémité sud du contrefort traversant la vallée. Il s'avance jusqu'au bord du rocher dominant l'Arc.
Construction étrange, faite d'immenses bâtiments en escalierqui suivent la pente, elle évoque avec son environnement de sommets neigeux et de falaises quelque lamaserie tibétaine perdue dans les solitudes . Le Fort Victor-Emmanuel forme un ensemble architectural cohérent,mais si de loin, tous les bâtiments se ressemblent, ils ont des destinations complètement différentes. On peut distinguer trois parties de bas en haut le fort proprement dit, les casernements et le pénitencier(on peut remarquer les ouvertures plus petites que dans les autres bâtiments). Accroché sur le bord d'une falaise entre mille deux cent cinquante mètres et mille trois cent cinquante mètres d'altitude, l'ouvrage se décompose en une succession parallèle de huit bâtiments à double niveau.
Dès 1817 les chantiers furent ouverts. On commença par préparer sur le roc l'emplacement des fondations. Mais ce n'est qu'en 1820 que la construction proprement dite débuta. On ne s'arrêta que treize ans plus tard, en 1833. Voué à servir de base de départ d'une éventuelle offensive, le fort est conçu pour accueillir une garnison de mille cinq cent hommes, servant trente-cinq canons.
L'entrée s'effectue à l'est par un pont-levis.
Un pont dormant prolongé d'un pont-levis métallique offre un accès à la porte d'entrée, qui permet d'accéder au bâtiment de commandement.
Les bâtiments du fort appartiennent à un type de casernes "à l'épreuve de la bombe" trés utilisé dans toute l'Europe occidentale après 1815. La partie basse composée de deux bâtiments recevait les canons. Les murs ont entre 2 et 4 mètres d'épaisseur.
Pour éviter que les canons et les chariots prennent une trop grande vitesse, on a encastré sur la rampe des espèces de gradins cylindriques en pierre. Contrairement aux apparences, ce ne sont pas des marches, car les barres de pierre sont en saillie pour pouvoir bloquer éventuellement les roues. Le second bâtiment est décalé par rapport au premier et le domine. Il peut donc tirer par dessus dans la même direction avec ses huit pièces. Les casemates sont moins aérées que celles du bas qui bénéficient d'une cour intérieure. Aussi, le Capitaine Gallice, un agent secret français qui visita le fort en 1826, note-t-il "qu'elles ne possèdentpas de trous d'évacuation, ce qui risque d'incommoder les servants pendant le tir".
Lorsque les bâtiments furent terminés, il fallut y installer l'armement, en particulier l'artillerie. Il s'agissait de pièces de place en bronze ou en fer, se chargeant par la gueule et tirant des boulets à 1200 mètres au maximum. Les calibres les plus usités étaient ceux de 16 et de 24. La pièce reposait sur un affût de place, sorte de caisse en bois d'orme ou de chêne, monté sur roulettes.
Les toitures en lauzes ne constituaient en quelque sorte qu'un "parapluie" destiné à garantir la mise hors d'eau de l'ouvrage en temps de paix; en cas d'attaque, la toiture démontée ou détruite pouvait rapidement disparaître pour laisser place aux mortiers ou à l’artillerie légère installée sur la terrasse, recouverte d'un épais blindage de terre.
On arrive plus haut sur la place d'armes sous laquelle est creusée une vaste citerne dont subsiste un des deux puits. Le bâtiment qui donne sur cette place abritait le poste de commandement du Gouverneur, les services et les magasins. Il est percé de trois porches qui donnent accès à la partie supérieure du fort. De gauche à droite le chemin des voitures, l'escalier particulier du Gouverneur, les escaliers pour la troupe. Le rez-de-chaussée comprend d'est en ouest l'entrée ouvrant sur le pont-levis avec deux portes successives, le corps de garde, des entrepôts de vivres et de munitions, et, après un porche, une boulangerie avec trois fours qui permettaient de cuire chacun 250 rations. A l'étage se tenait le poste de commandement, les logements du gouverneur et des officiers, desservis par un escalier particulier.
Le bâtiment suivant abritait au rez-de-chaussée, d'ouest en est, la Chapelle Saint-Jean l'Evangéliste, la sacristie (qui malgré son usage religieux comporte une embrasure), le logement du Prieur, l'hôpital de 60 lits et les cuisines. A l'étage nous trouvons des casernements pour la troupe avec des chambrées de quarante mètres carrés.
On passe d'un bâtiment à un autre, soit par un escalier pour les piétons, soit par un plan incliné carrossable, assez sinueux et fort malaisé. Chaque bâtiment est séparé du suivant par une cour étroite et bordée de créneaux à l'est et à l'ouest. Ces difficultés de liaisons sont un des points faible du fort
La poudrière, construite à l'extérieur des remparts et qui, au début était située au sommet, face à l'ennemi, fut transférée en 1835 sur le glacis à l'est.
Le dernier bâtiment, où l'on accède indirectement après avoir franchi un portail, était le pénitencier.C'est en 1833 que fut construit le véritable pénitencier de l'Esseillon pour répondre, si l'on peut dire, à une demande sans cesse croissante. On notera que les travaux commencèrent alors que s'arrêtaient ceux du fort Charles-Albert, les ouvriers passant d'un chantier à l'autre. Curieuse coïncidence, comme si, pour le Roi, les dangers de l'intérieur étaient plus importants que ceux de l'extérieur.
Un autre bâtiment plus petit, construit perpendiculairement, de l'autre côté du fossé sur une contrescarpe, était aussi à usage de pénitencier. Il portait le nom de «la galère» et l'autre s'appelait «le cavalier» (c'est le nom traditionnel en fortification pour désigner l'ouvrage le plus élevé). Le mot «galera» en Italien désigne le Bagne (même s'il n'y a plus de bateau comme à l'origine).
L'essentiel des informations sont issues de l'ouvrage Les forts de l'Esseillon publié en 1993 par André Dupouy (qui fut mon professeur de français au collège de Modane)